Un nouvel outil de scoring pour les cosmétiques va voir le jour. C’est le Green Impact Index, développé par un consortium de professionnels à l’initiative du groupe Pierre Fabre. A première vue, c’est très bien, mais en creusant un peu, cela pose questions. Attention…
En tant que spécialiste de la cosmétique naturelle, je m’intéresse depuis toujours à tout ce qui peut aider le consommateur à choisir des cosmétiques à la fois écologiques et sains. Je me suis donc penché sur le Green Impact Index, un outil de scoring développé par de grands acteurs du secteur cosmétique, pour “prouver” aux consommateurs que les marques s’engagent. Mouais…
Qu’est-ce que le Green Impact Index ?
Le Green Impact Index est un nouvel outil de notation d’un produit cosmétique pour attester de son impact social et environnemental et le traduire en une “note” exprimée par A, B, C ou D.
C’est un peu comme le Nutri-score utilisé sur les aliments, mais ici à destination des produits cosmétiques. L’outil est pour l’instant en phase d’élaboration, mais on le retrouve déjà sur certains produits du commerce chez les marques Klorane ou A-Derma.
L’outil de mesure en question se veut transparent et ouvert à tous. Il a cependant été initié par le groupe Pierre Fabre (qui gère des marques comme Klorane, Ducray, A-Derma ou Avène), rejoint très vite par d’autres acteurs professionnels de la cosmétique pour former ce qu’on a appelé le “Consortium Green Impact Index“. Ensemble, ils travaillent à l’élaboration d’une méthode transparente et sérieuse pour évaluer et noter l’éco-socio-conception de tout cosmétique. Mise officielle sur le marché prévue fin 2023.
Green Impact Index : des lacunes
Étant moi-même un acteur de la cosmétique et un militant pour une cosmétique plus écologique, j’ai bien évidemment souhaité étudier les outils à disposition pour mieux choisir les cosmétiques en rayon. Je rappelle que je fais confiance historiquement aux labels bio comme Cosmebio, Ecocert ou Natrue, et bien entendu encore plus au label Slow Cosmétique. Je mets de côté les applis telles que Yuka, qui ne permettent pas d’évaluer vraiment l’impact environnemental ou sociétal d’un produit.
Dans mon enquête, je suis vite tombé sur deux initiatives qui concernent de nouvelles méthodes et outils de scoring. Leur but ? Donner une note à un produit pour mieux informer les consommateurs, en un clin d’oeil. D’abord il y a eu l’Ecobeautyscore, une initiative très similaire au Green Impact Index, mais émanant de plusieurs groupes industriels dont L’Oréal et Henkel. J’en profite pour vous rappeler que l’Ecobeautyscore est un outil à relativiser (cliquez pour lire l’article de l’Association Slow Cosmétique). Ensuite, il y eu le Green Impact Index, dont je vous parle aujourd’hui. J’ai relevé des lacunes à cet outil, même si il n’est pas encore finalisé… Les voici :
LACUNE 1 : la notation pose question !
Le Green Impact Index se base sur une note sur 15, ramenée ensuite à 20. Les 20 points sont représentés par une lettre : A (très bon score supérieur à 16/20), B, C et D (moins de 5/20). Ainsi par exemple, un produit qui obtiendrait 18/20 se verra étiqueté “A”.
Le score de chaque produit est obtenu à partir de l’évaluation de 14 critères environnementaux et 6 critères sociétaux. La note environnementale pèse pour 2/3 de la note globale et la note sociétale pour 1/3. Un tableau détaille ces différents critères et leur poids respectif dans la note globale. Si un produit contient 50% d’ingrédients naturel, hop 1 point en plus. Si le produit contient 1 extrait de plante bio, hop il a 0,5 point en plus. etc.
Le souci, c’est que parfois la notation pose question. Ainsi la cica-crème Dermalibour de A-DERMA a un scoring de A, le meilleur ! Elle obtient une très bonne note environnementale dans sa notation. Elle obtient 3/3 points par exemple parce que sa formule est “100% naturelle”. Elle obtient même un demi point en plus parce qu’elle contient au moins 1 extrait de plante bio si on en croit la page web du site Pierre Fabre.
Cependant, quand on examine la formule détaillée de la cica-crème (qui n’est pas sur la même page hélas, et qu’il faut chercher sur le net ou sur le site de la marque A-Derma, ou sur l’emballage), eh bien on remarque que le produit contient en bonne proportion une huile végétale hydrogénée (on ne la nomme pas mais c’est probablement un dérivé d’huile de palme, bien que cela pourrait être d’olive mais c’est peu probable). L’huile de palme, au niveau environnement, on peut mieux faire. La formule ne semble pas non plus contenir beaucoup d’extraits bio : seul l’extrait d’avoine est bio (et breveté par la marque), mais l’huile de tournesol et de jojoba ne le sont pas. Enfin, le produit se présente dans un tube (ce qui n’est pas l’idéal pour le recyclage dans bien des régions). Bref, ça laisse pensif.
Cela fait réfléchir, non ? Cela ne s’arrête pas là.
LACUNE 2 : un parti pris pour des ingrédients polémiques ?
On s’attend à ce qu’un cosmétique qui porte un score A ne contiennent pas d’ingrédients polémiques pour l’environnement, n’est ce pas ? Eh bien ma foi, cela ne semble pas être le cas. On vient de le voir avec l’huile de palme. Mais c’est un vrai souci qui m’a mené à une autre question. Comment sont jugés les plastiques et polymères, réputés très polluants et/ou rémanants dans l’environnement si ils sont dans des cosmétiques à rincer.
Il m’a semblé qu’un parti pris pour ces matières premières qui pourtant sont moins durables était appliqué. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais j’ai pu constater ce qui suit…
Par exemple, le shampoing Klorane à l’avoine obtient un score de A, c’est le top. On nous explique que le shampoing a une note environnementale de 8,4/10 ce qui est très bien. Le produit est en effet contenu dans un flacon en plastique recyclable, il contient au moins 1 plante bio, la majorité de ses ingrédients sont européens, etc.
Pourtant, si on examine sa formule INCI (liste des ingrédients qu’il faudra trouver sur le pack ou sur le site de la marque Klorane en cherchant bien bien en bas de la page), on voit bien que le produit contient des ingrédients qui sont documentés comme non neutres pour l’environnement :
- acrylates copolymer, une substance “plastique” qui ne se biodégrade pas bien dans l’eau,
- du parfum, et ici un parfum au moins partiellement synthétique
- un dérivé potentiel d’huile de palme hydrogénée.
- et j’en passe…
C’est quand même étonnant que ces ingrédients n’aient pas semblé influencer la note. Ah, mais non, la note est justement basée sur d’autres critères que les ingrédients en eux-mêmes… Tiens tiens…
Green Impact Index : qu’en penser ?
C’est une excellente idée et une très bonne initiative au départ. Cependant, je m’en détournerai et je vous conseille d’en faire autant. Dès le moment où on constate des illogismes comme ceux que j’ai pu présenter ci-dessus, on comprend que l’outil n’est pas fiable. Mais, évidemment, l’outil émanant d’un acteur majeur de la cosmétique conventionnelle, il ne fallait pas s’attendre à une révolution.
Je terminerai en disant qu’en outre l’étiquette A, B, C, D du Green Impact Index pourra être utilisée par qui le voudra, mais aussi pour les produits qu’il voudra. Ainsi, Klorane utilise actuellement la note pour ses produits scorés A et B, mais pas pour tous ses produits. Un peu décevant non ? Ou bien se dit-on que personne ne voudra acheter un produit scoré C ?
Bref, tout cela est bien dommage mais, au rayon des cosmétiques, on en voit des vertes et des pas mûres depuis plus de 50 ans, alors ça ou autre chose, que voulez-vous… Vive le Label Slow Cosmétique, repérez le sur vos produits avant d’acheter !