Sans nous en rendre compte, nous vivons dans un monde hypernarcissique, qui favorise l’individualisme et l’égo, à cause des réseaux sociaux et du marketing. Bien ou pas ? On fait le point.
Hypernarcissisme, c’est quoi ?
L’hypernarcissisme est à la fois un problème sociétal et un problème de santé mentale dans lequel les individus ont un sens déraisonnablement élevé de leur propre importance ou sont trop concernés par eux-mêmes et leur image. L’hypernarcissisme pousse l’individu à avoir besoin et à constamment rechercher l’attention des autres. On veut être admiré.e. Sans s’en rendre compte, des personnes atteintes de ce trouble peuvent ne pas avoir la capacité de comprendre les sentiments des autres ou de s’en soucier. Au niveau social, on parle d’hypernarcissisme pour désigner l’omniprésence et l’omnipotence du narcissisme dans la société.
L’origine de l’hypernarcissisme est la société individualiste qui s’est digitalisée. L’individualisme est différent du narcissisme. Le concept initial désigne la démarche qui consiste à s’émanciper du système, de la société, pour se centrer sur sa propre liberté. Mais avec le temps, l’individualisme est devenu aussi une source de danger, mettant en avant le matériel au détriment du spirituel ou du social, et nous menant à une déception, à de la solitude, et à un manque d’empathie général.
La société du sur mesure
On y est ! C’est l’auteur Vincent Cocquebert (“La civilisation du cocon”) qui décrit notre société comme telle dans plusieurs de ses publications. Il observe que les champs narcissiques du Travail et de la Société ont été remplacés par le commerce de masse, le marketing et la personnalisation. Aujourd’hui, en effet, les produits et services se veulent de plus en plus “sur mesure”, “fait pour nous”. Idem avec les algorythmes qui guident les réseaux sociaux : ils sont fait pour s’adapter à notre “Moi”, et nous “nourrir” d’infos et de relations qui renforcent une image positive de soi, sans jamais plus – ou rarement – nous confronter à ce qui ne nous ressemble pas, ce qui ne nous correspond pas.
Résultat : ce qui compte pour les gens dans les études récentes, c’est de s’occuper de soi, de son cocon et/ou de sa famille. A l’inverse : s’engager pour la société, dans le social ou le solidaire, n’est plus quelque chose qui est cité comme une aspiration.
Le COVID a renforcé l’individualisme aussi, nous mettant tous en confinement et favorisant l’utilisation du digital au détriment du social / du réel.
On est avant tout dans une culture où chacun se met en scène lui-même. L’idée est de permettre à chacun de devenir sa propre “marque”, pour améliorer son apparence en ligne surtout. Les jeunes considèrent d’ailleurs que la gestion de l’image est primordiale (voir les études de Sociovision).
Un chiffre en passant : la tendance aux tatouages explose. En 2023, 18 % de la population est tatouée. Chez les 18 – 25 ans, c’est encore plus. Or, le tatouage est bien une façon de marquer son corps, de le rendre unique et de le “brander”, de le “marketer”. CQFD.
Dangers de l’hypernarcissisme
L’hypernarcissisme débouche irrémédiablement sur plusieurs tendances néfastes pour les humains : le manque d’empathie, la solitude (voulue ou non), le manque de confrontations intellectuelles et l’immaturité émotionnelle qui en découle, la déprime associée à une insatisfaction permanente, et dans certains cas le burn-out ou la dépression.
Si on évolue dans un cocon confortable, alimenté d’infos, de produits et de service qui nous ressemblent, on est bien et on n’a pas forcément envie d’en sortir. Le souci, c’est que du coup l’engagement pour autrui, pour un groupe social est moins tentant. Résultat : on ne s’intéresse plus à un “avenir collectif”, donc on s’intéresse surtout au sien. Ce faisant, on s’abîme la santé mentale et on se rend incapable d’être heureux même si on ne s’en rend pas compte tout de suite.
Car en effet, les études sur le bonheur montrent que ce sont les relations sociales et les échanges avec des personnes différentes de nous qui sont la source du bonheur. Les vrais échanges, pas les interactions de type messages, likes ou commentaires. Sans relations ou échanges concrets avec des personnes différentes de nous, sans vrais amis (les followers ne sont pas des amis), on est moins heureux.
Les millenials par exemple sont à la fois victimes malheureuses et utilisateurs heureux du système actuel. Ils sont utilisateurs des réseaux sociaux et donc narcissiques malgré eux, et obsédés par la célébrité, la réussite matérielle plutôt que sociale. Tout pourrait aller pour le mieux si ils n’étaient pas cependant victimes aussi : c’est en effet leur tranche d’âge et la génération juste en dessous (les Gen Z) qui sont les plus touchées par les problèmes de santé mentale.
Chez les jeunes, la solitude se vit à la fois très bien et très mal. Beaucoup de jeunes adultes vivent seuls et se disent se sentir bien, mais toute une partie d’entre eux déclarent souffrir de troubles de santé mentale par ailleurs.
La sensibilité devient aussi trop aigüe : on ne supporte plus de se faire appeler comme ceci ou comme cela, de recevoir un appel téléphonique non sollicité, de se sentir classé dans une case, etc.
A force de se créer des “petits mondes”, et de vivre dedans, nous vivons dans une bulle et passons à côté du lien social et de l’interdépendance. Pourtant, ce sont les sources du bonheur véritable d’après les études.
La radicalisation est également une tendance créée par l’hypernarcissisme. Etant derrière nos écrans et à distance les uns des autres, nous intervenons de façon plus radicale via commentaires ou messages à des informations qui nous semblent aller à l’encontre de notre propre système de pensée. Résultat, plus de violence dans les mots, et plus d’amertume au quotidien. Tous les débats sont plus polarisés, et du coup c’est pareil dans les opinions politiques.
S’en suit, chez les jeunes surtout, une défiance de plus en forte à l’encontre des autres, vus comme des obstacles à notre épanouissement plutôt que des vecteurs de bonheur collectif…
Quelles solutions contre l’hypernarcissisme ?
Il existe plusieurs pistes mais pas de recettes miracles pour lutter contre les conséquences de l’hypernarcissisme.
Une première piste est la pratique de la digital detox, qui consiste à utiliser de moins en moins les réseaux sociaux ou à adpater fortement leur usage.
Une autre piste est la pratique de l’humilité au quotidien, au sens philosophique et pratique du terme. Lire à ce propos mon article sur l’humilité positive en pratique.
Une piste encore consiste à se forcer à aller vers des activités de groupe dans la vie réelle, et si possible dans un milieu qui n’est pas tout à fait le nôtre. Un milieu mixte, c’est l’idéal. Les mouvements de jeunesse par exemple permettent cela aux jeunes, et si l’on est plus vieux certains lieux comme les discothèques, les ateliers cosmétiques, les cafés, ou les clubs culturels, mais ils se font rares.